La sincérité – La Mère

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Voici plusieurs enregistrements de Mère, tirés des Entretiens de 1956, sur la Sincérité.

Le 1er août 1956

Quelle est la vertu fondamentale à cultiver pour se préparer à la vie spirituelle ? 

Je l’ai dit bien des fois, mais c’est une occasion de le répéter : c’est la sin-cé-ri-té. 

Une sincérité qui doit devenir totale et absolue, parce que seule la sincérité est une protection sur le chemin spirituel. Si vous n’êtes pas sincère, dès le second pas vous êtes sûr de tomber et de vous casser le nez. Il y a toutes sortes de forces, de volontés, d’influences, d’entités qui sont là à guetter la moindre petite faille dans cette sincérité et qui, immédiatement, se précipitent par cette faille et commencent à vous désorganiser. 

Par conséquent, avant de rien faire, de rien commencer, de rien essayer, soyez sûr d’abord que vous êtes non seulement aussi sincère que vous pouvez l’être, mais que vous avez l’intention de le devenir encore bien davantage. 

Parce que c’est votre seule protection. 

Le 19 décembre 1956

« Est-il possible pour un être humain d’être parfaitement sincère ? » 

Et il y a une suite à cette question : 

« Est-ce qu’il y a une sincérité mentale, une sincérité vitale, une sincérité physique ? Quelle différence y a-t-il entre ces sincérités ? » 

Naturellement, le principe de la sincérité est le même partout, mais le fonctionnement est différent suivant les états d’être. Quant à la première question, on pourrait simplement répondre par : non, si l’homme reste ce qu’il est. Mais il a la possibilité de se transformer suffisamment pour devenir parfaitement sincère. 

Pour commencer, il faut dire que la sincérité est une chose progressive, et à mesure que l’être progresse et se développe, à mesure que l’univers se déroule dans le devenir, la sincérité doit aller en se perfectionnant sans cesse. Tout arrêt dans ce développement change nécessairement la sincérité d’hier en une insincérité de demain. 

Pour être parfaitement sincère, il est indispensable de n’avoir aucune préférence, aucun désir, aucune attraction, aucun dégoût, aucune sympathie ni antipathie, aucun attachement, aucune répulsion. Il faut être dans une vision totale, intégrale des choses, où tout est à sa place et où l’on a une attitude similaire vis-à-vis de toutes choses : l’attitude de la vision vraie. Ce programme est évidemment très difficile à réaliser pour un être humain. À moins qu’il n’ait décidé de se diviniser, il paraît presque impossible qu’il puisse être libre de tous ces contraires en lui. Et pourtant, tant qu’on les porte en soi, on ne peut pas être parfaitement sincère. Automatiquement, le fonctionnement mental, vital, et même physique, est faussé. J’insiste sur le physique, parce que même le fonctionnement des sens est faussé : on ne voit pas, on n’entend pas, on ne goûte pas, on ne sent pas les choses telles qu’elles sont dans leur réalité tant que l’on a une préférence. Tant qu’il y a des choses qui vous plaisent et des choses qui vous déplaisent, tant que l’on a une attraction pour certaines choses et une répulsion pour d’autres, on ne peut pas voir les choses dans leur réalité; on les voit à travers sa réaction, sa préférence ou sa répulsion. Les sens sont des instruments qui se faussent, de la même façon que les sensations se faussent, que les sentiments se faussent et que les pensées se faussent. Par conséquent, pour être sûr de ce que vous voyez, de ce que vous sentez, de ce que vous éprouvez et de ce que vous pensez, il faut que vous ayez un détachement complet ; ce qui n’est évidemment pas une tâche facile. Mais jusqu’à ce moment-là, votre perception ne peut pas être totalement vraie, et par conséquent elle n’est pas sincère. 

Naturellement, c’est un maximum. Il y a des insincérités grossières que tout le monde comprend et sur lesquelles, je pense, il n’est pas nécessaire d’insister. Comme, par exemple, de dire une chose et d’en penser une autre, de prétendre que l’on fait une chose et d’en faire une autre, d’exprimer une volonté qui n’est pas votre volonté vraie. Je ne parle même pas du mensonge tout à fait grossier qui consiste à dire autre chose que ce qui est ; mais même cette façon diplomatique d’agir qui consiste à faire une chose avec l’idée d’obtenir un certain résultat, à dire une chose en s’attendant à ce qu’elle produise un certain effet, toute combinaison de ce genre qui vous porte naturellement à vous contredire vous-même, est un genre d’insincérité assez grossière que tout le monde peut reconnaître facilement. 

Mais il y en a d’autres plus subtiles, qui sont difficiles à discerner. Par exemple, tant que vous avez en vous des sympathies et des antipathies, tout naturellement et pour ainsi dire spontanément, vous aurez une perception favorable de ce qui vous est sympathique, et une perception défavorable de ce qui vous est antipathique (de ce qui, ou de ceux qui). Et là aussi, le manque de sincérité sera flagrant. Pourtant, vous pouvez vous tromper vous-même et ne pas percevoir que vous êtes insincère. Alors dans ce cas, vous avez pour ainsi dire la collaboration de l’insincérité mentale. Parce qu’il est vrai qu’il y a des insincérités d’un caractère un peu différent suivant les états d’être ou les parties de l’être. Seulement, l’origine de ces insincérités sera toujours un mouvement analogue provenant du désir et de la recherche de fins personnelles — de l’égoïsme, de cette combinaison de toutes les limitations provenant de l’égoïsme et de toutes les déformations provenant du désir. 

Au fond, tant que l’ego est là, on ne peut pas dire qu’un être soit parfaitement sincère, même s’il s’efforce de le devenir. Il faut dépasser l’ego, s’abandonner totalement à la Volonté divine, se donner sans réserve et sans calcul… alors on peut être parfaitement sincère, mais pas avant. 

Cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas faire d’effort pour être plus sincère que l’on n’est, en se disant : « Bien, j’attendrai que mon ego disparaisse pour être sincère », parce qu’on peut renverser les termes et dire que si vous n’essayez pas sincèrement, jamais votre ego ne disparaîtra. Par conséquent, la sincérité est la base de toute réalisation véritable, elle est le moyen, le chemin — et elle est aussi le but. Sans elle, vous êtes sûr de faire d’innombrables faux pas et d’avoir constamment à réparer le mal que vous vous êtes fait à vous-même et aux autres. 

Il y a d’ailleurs une joie merveilleuse à être sincère. Chaque acte de sincérité porte en lui-même sa propre récompense : le sentiment de purification, d’élévation, de libération que l’on sent quand on a rejeté ne serait-ce qu’une parcelle du mensonge. 

La sincérité, c’est la sauvegarde, c’est la protection, c’est le guide, et finalement c’est la puissance transformatrice. 

Le 08 août 1956

Douce Mère, Sri Aurobindo écrit :

« Un feu psychique doit être allumé au-dedans, dans lequel tout est jeté revêtu du Nom Divin. » (La Synthèse des Yogas, vol. i, p. 184)

Le feu psychique n’est-il pas toujours allumé ?

Il n’est pas toujours allumé.

Alors comment l’allume-t-on ?

Par l’aspiration.
Par la volonté de progrès, par l’élan vers la perfection.
C’est surtout la volonté de progresser et de se purifier qui allume le feu. La volonté de progresser. Les gens qui ont une forte volonté, s’ils la tournent vers le progrès spirituel et la purification, ils allument automatiquement le feu au-dedans d’eux.

Et chaque défaut que l’on veut guérir, ou chaque progrès que l’on veut faire, si l’on jette tout cela dans le feu, il brûle avec une intensité nouvelle. Et ce n’est pas une image, c’est un fait dans le physique subtil. On peut sentir la chaleur de la flamme, on peut voir, dans le physique subtil, la lumière de la flamme. Et quand il y a quelque chose dans la nature qui empêche d’avancer et qu’on le jette dans ce feu, cela se met à brûler et la flamme devient plus intense.

«… en s’incarnant dans l’acte, la dévotion rend non seulement le chemin large et plein et dynamique, mais elle apporte tout de suite sur le dur chemin des œuvres dans le monde, un élément divinement passionné, un élément de joie et d’amour qui fait souvent défaut au début quand l’austère volonté spirituelle poursuit seule l’ascension escarpée dans la tension et la lutte pour monter, tandis que le cœur reste encore endormi ou contraint au silence. Si l’esprit de l’amour divin peut entrer, la sécheresse du chemin diminue, la tension s’allège ; il y a une douceur et une joie au cœur même de la difficulté et de la lutte. » (La Synthèse des Yogas, vol. i, p. 183)

Comment sentir la douceur et la joie quand on se trouve dans une difficulté ?

Justement, si la difficulté est d’ordre égoïste ou personnel, si l’on en fait l’offrande et qu’on la précipite dans le feu de purification, immédiatement on sent la joie du progrès. Si on le fait sincèrement, tout de suite il y a un élan de joie.

C’est évidemment ce qu’il faut faire au lieu de se désespérer ou de se lamenter. Si on en fait l’offrande, et sincèrement que l’on aspire à la transformation et à la purification, alors on sent tout de suite la joie naître au fond du cœur. Même quand la difficulté est un gros chagrin, on peut faire cela avec beaucoup de succès. On s’aperçoit que derrière le chagrin, si intense qu’il soit, il y a une joie divine.

Est-il possible, sans pouvoirs occultes conscients, d’aider ou de protéger à distance quelqu’un qui est en difficulté ou en danger? Si oui, quelle est la façon pratique de procéder ?

Puis une sous-question :

Que peut la pensée ?

Nous ne parlerons pas du tout des procédés occultes; quoique, pour dire la vérité, tout ce qui se passe dans l’invisible soit occulte, par définition. Mais enfin pratiquement, il y a deux procédés, qui ne s’excluent pas et qui se complètent, mais que l’on peut employer séparément si l’on est plus enclin à l’un qu’à l’autre.

Il est évident que la pensée fait partie de l’un des moyens, une partie assez importante. Je vous ai déjà dit plusieurs fois que, si l’on pense clairement et fortement, on fait une formation mentale, et que toute formation mentale est une entité indépendante de son formateur, qui a sa vie propre et qui tend à se réaliser dans le monde mental (je ne veux pas dire que vous voyez votre formation avec vos yeux physiques, mais elle existe dans le monde mental, elle a une existence qui lui est propre et qui est indépendante). Si vous avez fait une formation dans un but précis, toute sa vie tendra à la réalisation de ce but. Par conséquent, si vous voulez aider quelqu’un à distance, vous n’avez qu’à former très clairement, d’une façon très précise et très forte, le genre d’aide que vous voulez donner et le résultat que vous voulez obtenir. Cela aura de l’effet. Je ne peux pas dire que ce soit tout-puissant, parce que le monde mental est plein d’innombrables formations de ce genre et que, naturellement, elles s’entrechoquent et se contredisent; par conséquent, c’est la plus forte et la plus persistante qui aura le dessus.

Alors, qu’est-ce qui donne de la force et de la persistance aux formations mentales ? C’est une émotion et une volonté. Si vous savez ajouter à votre formation mentale une émotion, une affection, une tendresse, un amour, et une intensité de volonté, un dynamisme, elle aura beaucoup plus de chances de succès. C’est la première méthode. Elle est à la portée de tous ceux qui savent penser, et encore plus de ceux qui savent aimer. Mais comme je l’ai dit, le pouvoir est limité et il y a une grande compétition dans ce monde.

Par conséquent, même si l’on n’a aucune connaissance, mais que l’on ait confiance en la Grâce divine, si on a la foi qu’il y a quelque chose dans le monde, qui est la Grâce divine, et que ce Quelque chose peut répondre à une prière, à une aspiration, à une invocation, alors, lorsqu’on a fait sa formation mentale, si on l’offre à la Grâce et qu’on lui fasse confiance, qu’on lui demande d’intervenir et qu’on ait la foi qu’Elle interviendra, alors vraiment vous avez une chance de succès.

Essayez, et puis vous verrez bien le résultat.

Mais, Mère, quand on prie sincèrement pour l’intervention de la Grâce, on s’attend à un résultat particulier, n’est-ce pas ?

Pardon, cela dépend de la teneur de la prière. Si simplement on invoque la Grâce, ou le Divin, et que l’on s’en remette à Lui, on ne s’attend pas à un résultat particulier. Pour s’attendre à un résultat particulier, il faut formuler sa prière, il faut demander quelque chose. Si tu as seulement une grande aspiration vers la Grâce divine, et que tu L’évoques, que tu L’implores, sans rien Lui demander de précis, c’est la Grâce qui choisira ce qu’Elle fera pour toi, ce n’est pas toi.

C’est mieux, non ?

Ah ! ça, c’est une autre question.
Évidemment, c’est peut-être d’une qualité supérieure ! Mais enfin, si l’on veut une chose précise, il vaut mieux la formuler.

Si on a une raison spéciale d’invoquer la Grâce, il vaut mieux le formuler d’une façon exacte et claire.

Naturellement, si l’on est dans un état de complète soumission et que l’on se donne tout entier, que simplement on s’offre à la Grâce et qu’on La laisse faire ce qu’Elle veut, c’est très bien. Mais après cela, il ne faut pas discuter ce qu’Elle fait ! il ne faut pas Lui dire : « Oh ! j’avais fait cela avec l’idée d’avoir ceci », parce que, si l’on a vraiment l’idée d’obtenir quelque chose, il vaut mieux le formuler en toute sincérité, simplement, tel qu’on le voit. Après, c’est à la Grâce de choisir si Elle le fait ou si Elle ne le fait pas ; mais en tout cas, on aura formulé clairement ce que l’on désirait. Et il n’y a pas de mal à cela.

Où cela devient mauvais, c’est quand la demande ne vous est pas accordée et que l’on se révolte. Alors naturellement, cela devient mauvais. C’est à ce moment-là qu’il faut comprendre que le désir que l’on a, ou l’aspiration, peut ne pas être très éclairé et que l’on a peut-être demandé quelque chose qui n’était pas exactement ce qui était bon pour soi-même. Alors à ce moment-là, il faut être sage et dire simplement : « Eh bien, que ta Volonté soit faite. » Mais tant que l’on a une perception intérieure et une préférence intérieure, il n’y a aucun mal à la formuler. C’est un mouvement très naturel.

Par exemple, si l’on a fait une bêtise, ou que l’on ait com- mis une faute et que vraiment, sincèrement, on désire ne plus recommencer, eh bien, je ne vois aucun mal à le demander. Et en fait, si on le demande avec sincérité, une vraie sincérité intérieure, il y a beaucoup de chances pour que ce soit accordé.

Il ne faut pas croire que le Divin aime à vous contredire. Il n’y tient pas du tout ! Il peut percevoir mieux que vous quel est votre propre bien ; mais c’est seulement quand c’est tout à fait indispensable qu’il contredit votre aspiration. Autrement, il est toujours prêt à donner ce qu’on demande.

C’est tout ?

(silence)

Il y a ici trois textes pour lesquels on m’a demandé des commentaires, ou des explications. Le dernier est comme une continuation de ce que nous venons de dire ; je vais commencer par celui-là :

 

« Si l’on était en union avec la Grâce, si on La voyait partout, on commencerait à vivre une vie d’exultation, de toute-puissance, de bonheur infini.

« Et ce serait la meilleure collaboration possible à l’Œuvre divine. »

(Entretien du 1er août 1956)

 

La première condition n’est pas si facile à réaliser. C’est le résultat d’un accroissement conscient, d’une observation constante et d’une expérience perpétuelle dans la vie.

Je vous ai déjà dit cela plusieurs fois. Quand vous êtes dans un ensemble de circonstances et que certains événements se produisent, souvent ces événements contredisent votre désir ou ce qui vous semble être le meilleur, et il vous arrive souvent de le regretter et de vous dire : « Ah ! comme ç’aurait été bien autrement, comme ceci ou comme cela », pour des petites choses, pour de grandes choses… Puis les années passent, les événements se déroulent; vous progressez, vous devenez plus conscient, vous comprenez mieux, et quand vous regardez en arrière, vous vous apercevez — d’abord avec étonnement, puis plus tard avec un sourire — que ces fameuses circonstances qui vous paraissaient tout à fait néfastes ou défavorables étaient justement la meilleure chose qui pouvait vous arriver pour vous faire faire le progrès que vous deviez faire. Et si vous êtes tant soit peu sage, vous vous dites : « Vraiment, la Grâce divine est infinie. »

Alors, quand ce phénomène vous sera arrivé un certain nombre de fois, vous commencerez à comprendre que, malgré l’aveuglement des hommes et les apparences trompeuses, c’est la Grâce qui est à l’œuvre partout, et qui fait qu’à chaque minute c’est le mieux possible qui se produit, dans l’état où se trouve le monde à cette minute-là. C’est parce que notre vision est limitée, ou même que nous sommes aveuglés par nos propres préférences, que nous ne pouvons pas discerner que les choses sont ainsi.

Mais quand on commence à le voir, alors on entre dans un de ces émerveillements que rien ne peut décrire. Parce que, derrière les apparences, on perçoit cette Grâce — infinie, merveilleuse, toute-puissante — qui sait tout, organise tout, arrange tout, et nous mène, que nous le voulions ou ne le voulions pas, que nous le sachions ou ne le sachions pas, vers le but suprême, c’est-à-dire l’union avec le Divin, la prise de conscience de la Divinité et l’union avec Elle.

Alors on vit, dans l’Action et la Présence de la Grâce, une vie pleine de joie, d’émerveillement, du sens d’une puissance merveilleuse, et en même temps d’une confiance si paisible, si totale, que rien ne peut plus l’ébranler.

Et quand on est dans cet état de parfaite réceptivité et de parfaite adhésion, on diminue d’autant la résistance du monde à l’Action divine; par conséquent, c’est la collaboration la meilleure que l’on puisse apporter à l’Action du Divin. On comprend ce qu’Il veut, et avec toute sa conscience, on adhère à Sa Volonté.

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